Un article paru dans le monde libertaire (il y a quelques temps déjà...)
Comment créer des terroristes à partir d’un fait divers...
mercredi 27 mai 2009Durant la nuit du 30 avril au 1er mai, dans une usine désaffectée de Cognin (près de Chambéry), une explosion provoque le décès d’une jeune femme et blesse grièvement son compagnon. Ce tragique accident entraîne, par un jeu de leviers dont seul l’Etat a le secret, le débarquement de la Sous Direction Anti Terroriste (SDAT) du parquet de Paris dans notre bonne vieille ville de Chambéry.
Celle-ci procède à une série de perquisitions dans plusieurs squats, dont une est menée par 130 flics en tout genre comme même la mafia locale n’en n’a jamais vu, puis décide la mise en détention après 80 et 72 heures de garde à vue de deux dangereux squatteurs pour des motifs surréalistes, que seules les lois scélérates de l’antiterrorisme permettent de justifier.
Mais soyons plus précis : la police informe la presse locale, qui informe la population… La police, enfin la presse, nous dit que les deux victimes de l’explosion manipulaient des substances explosives (du chlorate de soude et du sucre) qui leur ont explosé à la gueule. La presse, enfin la police, dit aussi qu’ils préparaient un engin explosif et qu’il y aurait une troisième personne dans le coup. Dans le même temps, « de source judiciaire, on affirme qu’elle [la personne décédée] était proche des milieux anarchistes... » (20 Minute, le 1er mai). A moins qu’elle ne soit de « la mouvance anarcho-autonome » comme le soulignera le Dauphiné Libéré dans ces innombrables articles… Et voilà un scénario bien ficelé qui permet à la SDAT de prendre l’affaire en main ! Surveillance, enquête, perquisitions amènent rapidement nos fins limiers à trouver deux autres personnes dans le milieu des squats chambériens pour leur coller sur le dos l’accusation d’« association de malfaiteurs en vue de commettre des actes terroristes et de nuire à la sécurité de l’Etat », leur permettant ainsi de justifier tout et n’importe quoi. Avec cette juridiction spéciale, qui prend ses ordres directement au ministère de l’Intérieur, la Justice, sur laquelle nous n’avons par ailleurs aucune illusion, ne s’embarrasse même plus de discours sur son indépendance et son impartialité, etc... Non, ici, avec l’antiterrorisme, c’est la machine gouvernementale qui est en marche, pour casser toute opposition, réelle ou fantasmée, quitte à enfermer des gens pour leurs idées. Alors, pour les deux individus qui ont le malheur de tomber entre ses mains, c’est le grand numéro et aucun échappatoire : garde à vue à rallonge (96 h maxi dans le cadre de l’antiterrorisme), avocat au bout de 72 h, détention provisoire assurée (depuis le 8 et 12 mai)… et l’incertitude sur leur sort, bien que le « dossier » soit complètement bidon.
A côté de cela, nous aurons eu le « plaisir » de lire la presse, locale essentiellement, qui se répandra en article plus ou moins douteux, usant du qualificatif « anarcho-autonome », « anarchiste » ou « libertaire » comme d’un élément à charge. Or, depuis la bonne douzaine d’années que la Fédération anarchiste existe à Chambéry, ses membres qui, étonnamment, se revendiquent anarchistes, sont actifs dans de nombreuses luttes, au fil des mouvements sociaux et des coups portés par la classe dominante. Ils sont présents dans la plupart des manifestations avec leurs propres discours et slogans, bien visibles sous les drapeaux noirs, s’expriment au travers d’un site internet, de tracts, d’affiches, de conférences et de débats publics, de projections et autres évènements… Bref, diffusent les idées et pratiques anarchistes à Chambéry et en Savoie, comme le font des milliers d’anarchistes en France et dans le monde. Etrangement, nous n’avons jamais eu l’honneur de lire ne serait-ce qu’une seule fois le mot « anarchiste » ou même le plus soft « libertaire » dans la presse locale. Quant à citer la Fédération anarchiste, nous savons, de source sûre, comme les journalistes se plaisent à le dire, que cela leur est interdit. Mais à vrai dire, on s’en fout. Nous relevons juste que les anarchistes n’existent pour les médias que lorsqu’ils sont associés à des mots tels que « terrorisme »... Car depuis ce début de mois de mai, le mot « anarchiste » est soudain apparu dans le lexique des journalistes du canard local le plus lu et de quelques autres, au point d’apparaître quasi quotidiennement dans les colonnes de cette presse. Souvent mêlé à d’autres termes au sens plus ou moins ésotérique comme « mouvance anarcho-autonome » ou « ultra-gauche ». Il faut dire que l’affaire est sulfureuse : des jeunes à qui la police colle l’étiquette de faiseurs de bombe et tant qu’à faire celle d’anarchistes ou quelque chose comme ça... Et voilà nos bovins journalistes qui foncent sur le drapeau rouge (et noir) que les flics leur agitent sous les yeux... ! Il est vrai que manipuler des matières explosives et appartenir au mouvement scout ou au club d’échec local, ça sonne moins bien… Quoiqu’il en soit, la perfusion administrée à nos chers journalistes par la SDAT afin de mieux relayer le discours politico-judiciaire, mêlé à leur ignorance crasse de toute notion relevant de l’anarchisme pourrait expliquer tant d’amalgames. A moins qu’absence d’esprit critique, malhonnêteté intellectuelle et servilité soient des caractéristiques permettant de réaliser la basse besogne journalistique sans rechigner, au regard d’une affaire qui de toute évidence n’est qu’une grossière manœuvre…
Cette affaire nous en rappelle ainsi une autre, tout aussi grotesque, celle dite « de Tarnac » avec ses arrestations, ses détentions et son retentissement médiatique à l’échelle nationale.
On peut se demander dans quelle mesure ces opérations politico-médiatiques ont leur origine dans les fantasmes de la classe dirigeante, avec sa logique de complots, de réseaux clandestins et d’ennemis à traquer. Par contre, ce qui est clair, c’est la stratégie d’ensemble élaborée et appliquée depuis quelques années par l’Etat et son personnel, qui se renforce ces derniers temps et qui opère par la peur et la violence.
Quelques éléments de cette stratégie :
Diffuser dans la population, afin de mieux la « tenir », la peur d’un hypothétique ennemi intérieur, qu’il faut bien inventer de toute pièce.
Provoquer dans la population le rejet, ou tout au moins la distanciation, vis à vis des opposant-e-s au système (création d’un « cordon sanitaire »).
Instaurer un système de surveillance, de fichage et de renseignement qui permette de diffuser le sentiment d’emprise de l’Etat sur les individus et notamment les militant-e-s.
Criminaliser, avec l’intervention de plus en plus systématique du couple police-justice, toute contestation sociale qui sort des clous de la pseudo-paix-sociale, et qui utilise comme moyens la désobéissance civile, l’occupation, le blocage, la grève autogérée, l’action directe en générale.
Faire quelques exemples, appliquer la violence d’Etat, afin de tenter d’installer un climat de peur parmi les militant-e-s en faisant planer la possibilité de la répression, même aux plus modéré-e-s. Voilà quelques ficelles de la politique actuelle.
Que l’Etat invente ses « terroristes » pour tenter de légitimer son action ne nous étonne guère, le procédé est vieux comme le pouvoir…
FACE A L’ARBITRAIRE DE L’ETAT : SOLIDARITE ET LIBERTE POUR LES INCULPES !